Construction de portefeuille

Dette publique et dette privée : Capitaliser sur la coexistence

30 juillet 2024 | 10 minute(s) de lecture
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Kay Haigh
Co-Head and Co-CIO, Fixed Income and Liquidity Solutions
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James Reynolds
Global Head of Direct Lending
Perspectives
Cette publication fait partie de la série Perspectives
Principaux points à retenir
1
Coexistence des dettes
La dette publique et privée peut venir compléter des portefeuilles d’investissement, adaptés pour répondre à des objectifs de performance, des tolérances au risque et des horizons d’investissement spécifiques.
2
Une plus grosse part du gâteau
Depuis quelque temps, de plus en plus d’entreprises font le choix stratégique de tirer parti des marchés de capitaux publics et privés pour obtenir des financements, optimiser leurs structures de capital par le biais d’un plus large éventail d’options de financement afin de soutenir leur croissance et de s’adapter aux conditions de marché.
3
Plus vous en savez
La coexistence des marchés de la dette publique et de la dette privée met en évidence un écosystème financier dynamique dans le cadre duquel une compréhension nuancée et une gestion active sont essentielles ; d’un point de vue stratégique, les investisseurs peuvent affronter de nouvelles réalités et identifier des poches d’opportunités potentielles et de résilience au sein des deux classes d’actifs.

La coexistence des marchés de dette publique et de dette privée

La reprise des rendements des obligations publiques a suscité un regain d’intérêt pour les obligations, de la part des fonds de pension qui cherchent à réduire leurs niveaux de risque dans le contexte d’une amélioration de leurs financements, des investisseurs particuliers qui cherchent à profiter des rendements élevés avant un ajustement à la baisse des taux des banques centrales, et enfin des assureurs, qui cherchent à accroître leurs allocations aux obligations d’entreprise et à prolonger la duration, comme l’a souligné notre 13e enquête annuelle sur l’assurance. Dans le même temps, la dette privée a continué d’enregistrer une croissance importante, avec des actifs sous gestion atteignant 2 100 milliards de dollars (USD).1 Le marché couvre un large éventail de stratégies de prêts aux entreprises, de titres de créances adossés à des actifs réels et de crédits adossés à des actifs, et englobe l’ensemble du spectre du capital.

La dette publique et privée peut venir compléter des portefeuilles d’investissement, adaptés pour répondre à des objectifs de performance, des tolérances au risque et des horizons d’investissement spécifiques. Les deux classes d’actifs offrent des avantages en termes de revenus et de diversification. Les obligations publiques, connues pour leur profondeur de marché et leur liquidité, sont idéales pour la gestion des liquidités. La dette privée offre un potentiel de performances plus élevées, sans pour autant être intrinsèquement plus risquée que les prêts syndiqués et les obligations à haut rendement, comme en témoignent les pertes de crédit historiques comparables. Ce trait tient aux conditions, qui sont personnalisées afin de répondre aux besoins spécifiques des emprunteurs et des prêteurs, tandis que certains emprunteurs sont prêts à payer une prime en contrepartie d’une plus grande certitude dans l’exécution.

Les marchés de la dette privée sont depuis longtemps une source vitale de capitaux pour les entreprises de taille moyenne, à qui ils fournissent souvent des solutions de financement hors de portée des banques traditionnelles. À l’inverse, les marchés de la dette publique sont généralement utilisés par des entreprises de plus grande taille et bien établies ainsi que par des États dont les besoins en capitaux sont importants.

Récemment, de plus en plus d’entreprises font le choix stratégique de se tourner vers les marchés de capitaux publics et privés pour obtenir des financements. Elles optimisent leurs structures de capital grâce à un plus large éventail d’options de financement pour soutenir leur croissance et s’adapter aux conditions du marché. En 2022 et 2023, par exemple, de nombreuses entreprises ont cherché des capitaux sur les marchés de la dette privée. Toutefois, au cours des derniers mois, nombre d’entre elles se sont refinancées sur les marchés publics. Au fil du temps, nous pensons que nous allons assister à l’émergence d’un équilibre dans le cadre duquel les entreprises devront opter entre, d’une part, le coût du capital moins élevé disponible sur les marchés publics et, d’autre part, une structure de capital et une solution de financement plus personnalisées sur les marchés privés. Le choix pourra varier en fonction de leur phase d’activité. Cette évolution permettra aux marchés publics et privés de coexister et de se développer harmonieusement, en offrant aux investisseurs un éventail diversifié d’opportunités d’investissement potentielles.

Depuis quelque temps, les emprunteurs oscillent entre les marchés syndiqués et privésDepuis quelque temps, les emprunteurs oscillent entre les marchés syndiqués et privés

Source : PitchBook, LCD.  Au 21 mai 2024 

Dressons le bilan : Un an après les pics des taux

Le cycle de relèvements de taux de la Réserve fédérale américaine s’est achevé en juillet 2023. Depuis, les investisseurs font preuve de vigilance et surveillent la façon dont les emprunteurs gèrent le coût accru du financement, de manière à éviter ceux qui risquent d’être confrontés à des difficultés financières. Malgré une hausse notable des taux d’intérêt, la résilience des entreprises, illustrée par les situations de défauts de paiement et de difficulté limitées, est remarquable. Le taux de défaut du marché des prêts directs, qui a baissé de manière régulière tout au long de l’année dernière, s’établit actuellement à 2,7 % au premier trimestre 2024, contre un pic cyclique de 4,5 %.12 Par ailleurs, le taux de défaut du marché des prêts à effet de levier a légèrement progressé au cours des 12 derniers mois pour atteindre 3,3 % en mai 2024, légèrement au-dessus de la moyenne à long terme de 3 %3.

Cette résilience dans un climat macroéconomique difficile peut être attribuée à la croissance soutenue de l’économie et des bénéfices des entreprises, qui renforcent les fondamentaux de crédit, ainsi qu’aux marchés de capitaux ouverts, qui facilitent le refinancement de la dette. À titre d’exemple, les sociétés soutenues par des sponsors, qui représentent une part importante des emprunteurs à la fois sur les marchés des prêts syndiqués et sur les marchés de la dette privée, ont enregistré une croissance de leurs bénéfices médians avant intérêts, impôts, dépréciations, et amortissements (EBITDA) à un taux annualisé de 11 %.4 Cette croissance a renforcé leur capacité à assurer le service de leur dette, même si les coûts de la dette augmentent et que les ratios de couverture des intérêts diminuent.

Néanmoins, il est essentiel de garder un œil sur la tendance à la baisse des ratios de couverture des intérêts et sur la qualité des normes de souscription. En outre, à l’heure où les banques centrales adoptent des mesures de resserrement quantitatif, nous pensons que la performance de la dette des marchés publics sera davantage influencée par le cycle économique, les décisions de politique, la capacité des entreprises à s’adapter à un nouvel environnement de taux, ainsi que par des changements structurels tels que la décarbonation, le vieillissement démographique et l’instabilité géopolitique. Même s’il est possible que des baisses de taux puissent offrir un certain répit, ces dernières ne seront mises en place qu’à un stade ultérieur et seront moins importantes que prévu initialement.

En interprétant davantage les données

Bien que les taux de défaut restent globalement faibles, il existe une variation notable entre les emprunteurs et les prêts, avec des situations de difficultés financières dans certains cas. De nombreuses situations de difficultés financières (« distressed ») sont résolues directement entre emprunteurs et prêteurs, afin de résoudre les problèmes de manière proactive sans passer par le défaut de paiement. Ces solutions impliquent souvent des stratégies telles que le paiement en nature (PIK) des intérêts et des apports en fonds propres supplémentaires de la part des sponsors financiers de l’emprunteur. Ces méthodes peuvent aider les entreprises à surmonter des obstacles temporaires, en évitant un processus de restructuration long et coûteux qui pourrait perturber l’activité, tout en permettant aux sponsors de soutenir leurs investissements et de préserver leurs participations. Toutefois, pour les emprunteurs confrontés à des problèmes plus profonds, ces solutions ne peuvent offrir qu’un sursis temporaire, en retardant un défaut inévitable. Malgré tout, les règlements extrajudiciaires peuvent encore préserver les valeurs de recouvrement et minimiser les pertes des investisseurs.

L’évaluation des taux de défaut globaux fait apparaître une augmentation des « distressed exchanges » entre emprunteurs sur le marché des prêts bancaires syndiqués et sur les marchés privés. Par exemple, en excluant les « distressed exchanges », le taux de défaut à 12 mois pour les prêts à effet de levier chute de 3,3 % à 1,25 % en mai 2024.5 Les « distressed exchanges » se produisent lorsqu’une entreprise en difficulté financière offre de nouveaux titres de dette, des actions ou un mélange des deux aux créanciers, généralement à une valeur réduite par rapport à la dette existante pour éviter le défaut. Bien qu’elle entraîne des pertes pour les prêteurs, cette solution est généralement moins coûteuse et plus rapide que les procédures de faillite formelles, et se traduit par des taux de recouvrement plus stables et moins de perturbations opérationnelles pour l’entreprise. Dans certains cas, la structure du capital qui en résulte se révèle durable ; dans d’autres, elle ne fait que prévenir des pertes plus importantes.  À ce titre, l’incidence sur des pertes éventuelles résultant des « distressed exchanges » reste incertaine.

Défauts de prêt en perspective – limités, en excluant les « distressed exchanges » Défauts de prêt en perspective – limités, en excluant les « distressed exchanges »

Source : Goldman Sachs Asset Management, J.P.Morgan. Au 31 mai 2024. « LTM » fait référence aux douze derniers mois.

Une affaire de nuances

Sur les marchés financiers dynamiques à l’heure actuelle, il est crucial de saisir les facteurs distincts qui façonnent le contexte de l’investissement. Par exemple, sur le marché des prêts à effet de levier, les défauts de paiement ont tendance à se produire principalement parmi les petites entreprises aux prises avec des changements spécifiques à leur secteur, ce qui ne reflète pas nécessairement les perturbations qui agitent plus généralement les marchés. Les investisseurs actifs, grâce à une sélection astucieuse de titres, peuvent souvent prévoir ces défauts et les gérer habilement, en atténuant ainsi les risques potentiels.

En attendant, bien que les prêts et les actifs titrisés liés à l’immobilier commercial (CRE) suscitent des préoccupations en raison de la hausse des taux d’intérêt, de la baisse du taux d'occupation des bureaux due au télétravail et des appréhensions concernant l’accès au capital, en particulier de la part des banques régionales, ces problèmes n’ont pas entraîné une généralisation des tensions financières. Contrairement à l’immobilier commercial de bureaux, qui continue d’être confronté à des difficultés, d’autres types d’immobilier affichent une performance de crédit solide et de bonnes performances opérationnelles. Cette diversité au sein du paysage de l’immobilier commercial offre aux investisseurs dans les titres adossés à des créances hypothécaires commerciales (CMBS) et la dette immobilière privée des opportunités de génération d’alpha en tirant parti des différents profils de performance sur différents types d'immobilier.

Il est également essentiel de reconnaître que les comparaisons historiques ne reflètent pas toujours les conditions actuelles ou futures du marché. Le marché actuel de la dette à haut rendement (HY) est de meilleure qualité par rapport aux cycles précédents, dans la mesure où il compte une plus grande proportion d’entreprises notées BB (le niveau de notation le plus élevé sur le marché du haut rendement) qu’avant la crise financière mondiale de 2008. Ce phénomène tient en partie au fait que les entreprises plus faibles ont déjà été confrontées à des défauts lors de récessions conjoncturelles antérieures ou ont été touchées par des changements structurels au sein de leurs secteurs, notamment par la croissance du e-commerce, qui a particulièrement perturbé les entreprises traditionnelles de vente au détail. En outre, les entreprises du marché du haut rendement sont de manière générale de plus grande taille à l’heure actuelle, tandis que les petites entreprises ont migré vers le marché privé. Les entreprises plus importantes offrent souvent davantage de stabilité en période d’incertitudes, grâce à leur taille et à leur portée, qui les prémunit contre les difficultés macroéconomiques. Le marché du haut rendement est également devenu plus sûr, car de nombreuses obligations sont désormais adossées à des garanties, ce qui réduit le risque des investisseurs. En outre, l’élargissement de la base d’investisseurs a permis d’accroître la liquidité et la stabilité, tandis que les progrès des technologies de trading ont amélioré l’accès au marché et la transparence. Collectivement, ces facteurs renforcent l’attrait du marché du haut rendement pour les investisseurs à la recherche de rendements plus élevés.

En revanche, le marché du crédit Investment Grade (IG) a connu une baisse de qualité par rapport aux cycles précédents, le segment noté BBB étant devenu le plus important en raison des dégradations de notes antérieures. Cela dit, de nombreuses entreprises notées BBB s’efforcent de maintenir leur statut IG. Elles font souvent preuve d’une discipline financière plus solide et adoptent moins de comportements de crédit défavorables que certaines entreprises notées A. Ce faisant, les investisseurs ont la possibilité de tirer parti de spreads plus élevés, soutenus par des fondamentaux solides.

Il est essentiel de reconnaître ces nuances pour prendre des décisions éclairées en matière d’investissement et pour comprendre les résultats des placements. Les petits détails et les tendances sous-jacentes permettent souvent de dresser une évaluation plus précise de l’orientation du marché et de sa santé financière.

Le pouvoir de la gestion active : Découvrir des opportunités structurelles et cycliques

Les gérants qui adoptent une approche judicieuse de la sélection des titres et qui peuvent de surcroît s’appuyer sur une expertise approfondie ainsi que sur leur taille, sont stratégiquement équipés pour découvrir des opportunités d’investissement structurelles et cycliques distinctes, tout en restant habilement à l’écart des difficultés financières potentielles.

Pour cela, il importe de se focaliser davantage sur les obligations haute qualité et de s’ouvrir aux possibilités grandissantes offertes par les obligations vertes et sociales émises par les entreprises et les États des marchés émergents. Bien que ces obligations présentent des profils de risque-rendement identiques à ceux de leurs homologues traditionnelles émises par les mêmes émetteurs, elles se distinguent par le fait que leurs produits sont orientés vers des projets environnementaux ou sociaux. Pour aider à atteindre les objectifs en matière d’énergie propre, les investissements sur les marchés émergents doivent tripler et passer de 770 milliards de dollars en 2023 à une fourchette annuelle de 2 200 à 2 800 milliards de dollars d’ici les années 2030.6  Bien que les investisseurs privés jouent un rôle essentiel pour fournir les capitaux nécessaires à cette augmentation. Seule une fraction des 2 500 milliards de dollars de fonds ESG est investie sur les marchés émergents, ce qui suggère un vaste potentiel de croissance. Le marché, à mesure qu’il arrive à maturation et se diversifie, pourrait attirer un plus large éventail d’investisseurs, y compris ceux qui cherchent à diversifier leurs portefeuilles de dette des marchés émergents existants ou à compléter leurs investissements ESG sur les marchés développés.

Dans le secteur de la dette privée, les gérants actifs ont la possibilité d’injecter stratégiquement des capitaux dans des entreprises robustes confrontées à des difficultés temporaires, par le biais de solutions plus complexes et structurées. Cela profite en particulier aux entreprises dont les bilans ne sont pas idéalement structurés pour l’environnement actuel de taux d’intérêt, et qui peuvent rechercher des solutions de financement structurées, y compris des capitaux hybrides. Les prêteurs privés sont bien placés pour fournir les capitaux nécessaires pour libérer de la valeur, en élaborant des solutions de capital sur mesure qui répondent aux besoins spécifiques des entreprises et des investisseurs et combinant dette et actions.

Cette approche permet aux prêteurs de bénéficier potentiellement de l’appréciation des actions et ainsi d’améliorer leurs performances globales, tout en continuant d’obtenir des rendements et en conservant une position de premier plan dans la structure du capital par rapport aux investissements exclusivement en actions. En outre, elle démontre la souplesse et la personnalisation du financement disponibles sur le marché privé, en offrant aux prêteurs des rendements et une protection accrus, tout en fournissant aux emprunteurs un moyen de réduire les coûts d’emprunt en contrepartie d’une participation au capital.

En conclusion, la coexistence des marchés de la dette publique et de la dette privée met en évidence un écosystème financier dynamique dans le cadre duquel une compréhension nuancée et une gestion active sont essentielles. D’un point de vue stratégique, les investisseurs peuvent affronter de nouvelles réalités et identifier des poches d’opportunités potentielles et de résilience au sein des deux classes d’actifs.

1. Preqin. À fin septembre 2023. Comprend les stratégies de dette privée d’entreprise, d’immobilier et d’infrastructures, à l’exclusion des fonds de fonds.
2. Indice Lincoln de la dette senior. Au 1er trimestre 2024.
3. Goldman Sachs Asset Management, J.P.Morgan. Au 31 mai 2024.
4. Burgiss, T4 2023.
5. Goldman Sachs Asset Management, J.P.Morgan. Au 31 mai 2024.
6. Agence internationale de l’énergie (AIE) Scaling Up Private Finance for Clean Energy in Emerging and Developing Economies. Juin 2023.

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