Saisir les opportunités de fin de cycle
Les économies évoluent par cycles, et chaque cycle apporte son lot de défis et d'opportunités. À bien des égards, le cycle actuel a montré des signes de maturité et nous sommes probablement arrivés dans sa dernière phase. Alors que les investisseurs débattent des chances de croissance ou de récession, nous pensons que la fin de ce cycle mérite d'être traitée en tant que telle. Rester à l'écart pourrait s'avérer coûteux. Nous pensons plutôt qu'une approche active et diversifiée sur les marchés cotés et privés pourrait être le meilleur moyen de faire face aux incertitudes à court terme et de saisir les opportunités de fin de cycle.
Fin de cycle, pas cycle de fin
Certains chiffres macroéconomiques indiquent un ralentissement, mais pas d’une ampleur compatible avec une récession
Depuis plus d'un an, afin de lutter contre une inflation obstinément élevée, la Réserve fédérale (Fed) s'est engagée dans une politique agressive de relèvement de ses taux d'intérêt, accompagnée d'une réduction de son bilan. Les pressions sur les prix aux États-Unis ont commencé à s'atténuer à l'approche du second semestre 2023. Parmi les composantes clés, l'inflation sous-jacente des biens est celle qui a le plus décéléré en raison de l'atténuation des pressions sur les chaînes d'approvisionnement. De son côté, l'inflation des logements a commencé à se stabiliser au cours des derniers mois, tandis que l'inflation sous-jacente des services hors logements a reflué dans une certaine mesure mais demeure le principal risque pesant sur nos perspectives d'inflation.1 Les progrès graduels et inégaux en matière de désinflation nous incitent à faire preuve d'humilité dans les prévisions des niveaux futurs, même si la plupart des facteurs clés semblent aller dans la bonne direction.
L'inflation persistante et le resserrement cumulatif des politiques monétaires ont freiné la croissance qui est désormais faible, sans pour autant être entrée en territoire de récession. La dynamique du marché du travail américain a commencé à s'essouffler (le taux de démission n'a cessé de reculer depuis 2022 pour tomber à 2,4 % en avril, soit juste au-dessus de son niveau de 2018-2019, qui se situait autour de 2,3 %). Malgré un léger sursaut en mai, cette tendance baissière observée au cours des 12 derniers mois indique que les possibilités de trouver de meilleurs emplois se sont raréfiées.2 Si la croissance des salaires a commencé à ralentir, une nouvelle décélération est probablement nécessaire pour être compatible avec l'objectif d'inflation de 2 %. Au niveau agrégé, le taux de chômage américain n'a pas franchement dépassé son niveau pré-pandémie de 3,5 %. Selon la règle de Sahm, règle qui stipule que nous sommes dans les premiers mois d’une récession lorsque la moyenne mobile sur trois mois du taux de chômage national est supérieure d’au moins 0,5 % à son plus bas niveau au cours des douze mois précédents, l'économie américaine n'était pas encore en récession au début du second semestre 2023.
Sahm, Claudia. Indicateur de récession en temps réel de la règle Sahm, données économiques de la Réserve fédérale. Réserve fédérale de Saint-Louis. Au 14 juillet 2023. À titre d’illustration uniquement.
Cela ne signifie pas pour autant que l'économie sera capable d’éviter tout retournement. Avec le resserrement continu de la politique monétaire, les taux d'intérêt à court terme ont augmenté plus vite que leurs homologues à long terme, ce qui a entraîné une inversion de la courbe des taux, signe typique d'une récession imminente. Au début du second semestre 2023, le spread entre les bons du Trésor à 2 et 10 ans s'est inversé pour atteindre les niveaux les plus élevés depuis le début des années 1980. D'autres mesures d'inversion de la courbe des taux indiquent également des probabilités significatives de récession. Toutefois, l'inversion de la courbe des taux ne fournit pas à elle seule d'informations sur le moment de survenance d’une récession. En outre, il existe d'importants amortisseurs qui pourraient empêcher l'économie de basculer rapidement dans une récession, et ainsi prolonger le cycle actuel.
Malgré de forts vents contraires et des signes de dégradation, l'économie américaine s'est montrée résiliente depuis le début de l’année 2023. La plupart des surprises à la hausse dans les chiffres d'activité économique ont concerné les dépenses de consommation. La consommation de biens a rebondi rapidement au premier trimestre pour atteindre son rythme le plus rapide depuis le second semestre 2021, et la consommation de services reste bien orientée.3 La combinaison d'un marché du travail solide et d'une forte croissance du revenu disponible réel pourrait continuer à soutenir les dépenses de consommation, et donc la croissance économique dans les prochains mois.
Les bilans des ménages, des entreprises, des collectivités locales et des États américains restent également solides à la mi-année. En outre, le risque de crise lié au plafond de la dette a été écarté. Et à ce stade, les tensions dans le système bancaire régional américain devraient freiner la croissance de manière modérée, sans pour autant la faire basculer en récession. Certains signes indiquent que les conditions d’octroi de crédits bancaires se sont durcies sur plusieurs types de prêts, alors que l'ampleur d'un nouveau resserrement du crédit reste incertaine. Les projets de loi budgétaire, tels que le CHIPS Act, pourraient stimuler encore davantage les investissements dans le secteur manufacturier et compenser ainsi le resserrement du crédit.
Des taux plus élevés pour plus longtemps
Nous pensons que les perspectives de nouvelles hausses de taux directeurs dépendront probablement de la question suivante : le rééquilibrage du marché du travail est-il suffisant pour consolider le processus de désinflation ? En juin, la Fed a prévu deux hausses de taux supplémentaires d’ici la fin de l’année,4 ce qui a été considéré comme une surprise restrictive par les marchés. Pourtant, malgré le rythme agressif de ces relèvements, le taux des fonds fédéraux n'a que récemment atteint des niveaux comparables à ceux de l'inflation. Cette situation contraste avec les cycles de hausse passés, au cours desquels la Fed avait relevé ses taux bien au-delà de l'inflation. Par conséquent, nous continuons de penser que la politique monétaire américaine restera encore longtemps restrictive. Cet environnement devrait être particulièrement difficile pour les modèles d'entreprise qui s'appuient sur un important effet de levier, de faibles coûts d'emprunt et des liquidités abondantes. D'un autre côté, le moment pourrait s’avérer opportun pour être prêteur, en particulier sur les marchés privés.
Statistiques économiques de la Réserve fédérale. Banque fédérale de réserve de Saint-Louis. Au 14 juillet 2023. À titre d’illustration uniquement.
Saisir les opportunités
Compte tenu de la position restrictive de la Fed, le calendrier d'un « pivot » monétaire et la durée de cette phase de fin de cycle restent très incertains. Mais plutôt que de rester sur la touche et d'attendre un retournement du cycle, nous pensons que rester investis en adoptant une approche active et diversifiée pourrait constituer le meilleur moyen de faire à l'incertitude et de saisir dans le même temps les opportunités de fin de cycle.
Dette privée : Être prêteur
Dans un environnement de taux durablement plus élevés, les investisseurs peuvent selon nous profiter d’opportunités dans la dette privée leur permettant d'obtenir des performances similaires à celles des actions. Contrairement aux obligations cotées, la dette privée consiste à accorder des prêts directement à des entreprises dans le cadre de transactions négociées de gré à gré. Cette stratégie peut permettre de générer un surcroit de revenus et de mieux résister en périodes de forte volatilité, constituant ainsi une poche de potentielle solidité en complément des obligations traditionnelles. Le contexte actuel est de nature à stimuler les rendements de la dette privée : le rendement moyen des nouvelles émissions pour l'ensemble des prêts à effet de levier aux États-Unis a ainsi atteint 10,2 % au deuxième trimestre 2023, soit le niveau le plus élevé depuis 2009.5 Cette évolution s’explique par le fait que les emprunteurs sont prêts à verser un surcroit de rémunération en échange d’une certitude d'exécution et des conditions sur mesure qu'offrent les prêteurs privés. La hausse des taux et la volatilité des marchés ont freiné le rythme des émissions d’obligations à haut rendement et de prêts à effet de levier, les prêteurs ayant préféré réduire la voilure (notamment les petites banques domestiques). La dette privée est apparue comme la solution permettant de combler cette lacune, en augmentant la proportion de prêts accordés aux entreprises et aux actifs réels, en particulier dans les segments de l'immobilier commercial confrontés à des conditions de crédit plus strictes, à une pression sur les revenus et à des besoins élevés de refinancement.
Statistiques économiques de la Réserve fédérale. Banque fédérale de réserve de Saint-Louis. Au 14 juillet 2023. À titre d’illustration uniquement.
Les prêteurs privés ont aujourd'hui l'avantage de pouvoir se concentrer sur des emprunteurs de grande qualité présentant des ratios de couverture attractifs et offrant des clauses favorables pour atténuer le risque de baisse. Avec la hausse des taux d'intérêt, les prêts de dette privé offrent des performances à deux chiffres comparables à celles des actions. Et de façon générale, les clauses des dettes privées tendent à inclure des protections et des dispositions spécifiques que l'on ne trouve pas sur les marchés du haut rendement ou des prêts à effet de levier.6 Les portefeuilles de dette privé peuvent également sélectionner des investissements sans avoir à les gérer par rapport à un indice de référence. Le caractère sélectif des investissements peut constituer un avantage décisif et un facteur d’atténuation des risques dans un environnement caractérisé par une dispersion accrue, un ralentissement de la croissance, un resserrement des conditions monétaires et une rentabilité plus difficile à atteindre. À mesure que la classe d'actifs arrive à maturité, nous pensons que la dette privée devient un substitut de plus en plus viable aux fournisseurs traditionnels de financement à effet de levier. Elle est en mesure d’apporter des volumes de plus en plus élevés de capitaux, des solutions sur mesure et une certitude aux emprunteurs qui considèrent souvent ces avantages comme la contrepartie d’un coût plus élevé du capital.
Résistance des obligations
La transition vers un régime de taux plus élevés s’accompagne d’un avantage évident : le potentiel de revenus futurs et de performance totale des obligations « core », telles que les emprunts d'État de grande qualité, s'est considérablement amélioré. Elles ont également généré des performance positives lors des récessions passées et peuvent jouer le rôle de véritable stabilisateur dans les portefeuilles si un scénario défavorable venait à se matérialiser dans ce cycle.7 En outre, les obligations « core » ont eu tendance à présenter une corrélation faible ou négative avec les actions et d'autres actifs risqués, ce qui procure des avantages de diversification potentielle. Dans ce contexte économique de fin de cycle, de taux directeurs ayant atteint leurs points hauts, et d'un niveau de rendement réel attractif, les bons du Trésor américain de duration longue nous semblent intéressants. D'un point de vue général, nous restons en revanche prudents à l'égard du crédit américain, mais continuons de penser qu'il existe des opportunités de gestion active dans ce domaine. La récente crise bancaire devrait inciter les banques américaines à durcir davantage leurs conditions de prêt et nous ne pensons pas que ce resserrement se reflète pleinement dans les spreads de crédit. Ceux-ci ne se situent qu'à des niveaux médians sur l'ensemble du cycle et n’offrent pas encore de points d'entrée attractifs. Néanmoins, les investisseurs doivent rester attentifs à la valeur relative des émissions individuelles et aux dislocations de marché qui peuvent créer des opportunités spécifiques. La sélection active des titres reste donc primordiale.
Actions : Gardez vos options ouvertes
Cette année, le marché se montre prudent à l'égard des actifs risqués, et les enquêtes de positionnement indiquent à la mi-année une sous-pondération nette des actions mondiales. Le marché actions américain se caractérise actuellement par deux dynamiques distinctes. D'une part, les mégacapitalisations du secteur technologique sont portées par des anticipations de croissance élevée, les investisseurs débattant de l'influence que l'IA générative pourrait avoir sur la croissance future des revenus et la rentabilité des entreprises, ainsi que sur les niveaux de valorisation des actions. D'autre part, à mesure que les perspectives d'inflation et le sentiment du marché s'améliorent, le reste du marché est en train de progressivement gagner du terrain plutôt que de bondir brusquement. Actuellement, le niveau de valorisation du secteur technologique reste dans des fourchettes historiques et bien en-deçà des sommets atteints au début des années 2000.8 En outre, la volatilité des actions étant à son plus bas niveau depuis plusieurs mois, le coût de la protection contre les risques de baisse est également devenu bon marché. Compte tenu du contexte macroéconomique, des fondamentaux des actions, des prix et du positionnement de marché, nous préférons rester investis en actions en couvrant quelques expositions.
Les bouleversements induits par l'IA peuvent créer des opportunités de gestion active
La capacité et l'accessibilité des modèles d'IA générative et leurs implications pour la création de contenus bien conçus, de la rhétorique persuasive au code, ont progressé de manière exponentielle. Nous pensons que l’intégration de l’IA dans les entreprises et son adoption à grande échelle par les consommateurs pourraient avoir un impact considérable dans les prochaines années sur les sociétés et les économies. En tant qu’investisseurs, l’IA est selon nous un moteur de croissance offrant une grande variété d’applications. Elle est en passe de bouleverser la réalité d’industries entières telle que nous la connaissons actuellement. Selon nous, les entreprises qui exploitent l’IA générative pour améliorer leurs activités, qui tirent parti de l’IA prédictive pour rendre leurs activités plus intelligentes et qui fabriquent le matériel nécessaire à l’expansion de l’IA sont appelées à en tirer des bénéfices démesurés. De notre point de vue, les entreprises auront besoin d’une stratégie claire pour intégrer l’IA si elles veulent rester leader. Nous pensons qu'il s'agit d'une période particulièrement intéressante pour évaluer les opportunités offertes par l'IA. Afin d’identifier la prochaine génération de gagnants, les investisseurs devront probablement faire preuve d'agilité et regarder au-delà des seuls indices de référence.
La diversification est essentielle dans un cycle mondial disloqué
Le début du cycle actuel de resserrement monétaire a été marqué par un déploiement synchronisé de mesures radicales dans la plupart des grandes économies. Mais sa phase finale pourrait faire apparaître des réponses plus différenciées en raison des trajectoires divergentes de croissance et d'inflation entre régions. Alors que la Fed s’approche probablement du terme de sa campagne de hausse des taux, la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre (BoE) pourraient être contraintes de resserrer encore leurs politiques pour plafonner les prix. Contrairement à la position restrictive des autres banques centrales du G4, la Banque du Japon (BoJ) est restée accommodante pendant une longue période. Compte tenu de la forte demande intérieure, nous continuons à déceler des opportunités de diversification au sein des actions japonaises. Au-delà des économies avancées, les marchés émergents évoluent à leur propre rythme, ce qui se traduit par un cycle mondial désynchronisé. La dynamique de croissance des marchés émergents reste faible mais ne se dégrade plus. L'inflation a chuté dans certains pays, comme le Brésil, le Chili ou le Mexique. La plupart des banques centrales des pays émergents ont atteint la fin de leur cycle respectif de resserrement et certaines ont même initié leurs premières baisses de taux. Des rendements réels élevés, des devises faibles et une inflation basse peuvent favoriser l’émergence d’opportunités de diversification dans l’univers des emprunts d'État en monnaie locale.
Le cycle de la Chine se distingue également de celui de la plupart des marchés développés, la Banque populaire de Chine (« PBoC ») ayant adopté un régime d'assouplissement. L'activité économique en Chine s’est redressée à la suite de la levée des restrictions à la mobilité, mais l'impulsion donnée par la réouverture s'est depuis essoufflée, les chiffres macroéconomiques n'étant pas à la hauteur des attentes du marché au second semestre 2023.9 Selon nous, la reprise économique en Chine devrait à partir de maintenant suivre probablement une trajectoire heurtée. Nous pensons que le pays reste un grand marché en pleine croissance présentant un vaste ensemble d'opportunités, même si on observe également une importante réorientation des investissements directs étrangers de la Chine vers des pays tels que le Viêt-Nam, l'Inde ou le Mexique. En outre, les tensions géopolitiques entre les États-Unis et la Chine pourraient conduire à un environnement encore plus incertain. Dans l'ensemble, nous pensons qu'une approche diversifiée et active est essentielle pour capitaliser sur les opportunités d'investissement dans un cycle mondial disloqué caractérisé par des moteurs différenciés à l'échelle de chaque pays.
Attention à la prochaine phase du cycle
Les opportunités d'investissement évoluent au fur et à mesure que les cycles se retournent. Nous continuons de surveiller de près l'équilibre des risques entre les forces et les vulnérabilités de l'économie. Ces risques nous donnent davantage d'indices sur la situation dans laquelle nous nous trouvons en vue des prochaines phases du cycle économique. Les prochains trimestres seront probablement déterminants pour révéler le degré de réussite des grandes banques centrales dans leur lutte contre l'inflation, la trajectoire future des politiques monétaires, ainsi que la mesure dans laquelle la résistance des bilans et les programmes budgétaires pourront compenser les effets négatifs du resserrement des taux d'intérêt et du crédit. Cela étant, l'incertitude et les disruptions offrent des opportunités aux investisseurs à long terme. De notre point de vue, les acteurs du marché doivent rester attentifs aux dislocations de la croissance et de l'inflation dans les économies, ainsi qu'aux tendances qui transcendent les cycles. Ils devraient selon nous continuer à investir en saisissant les opportunités de fin de cycle lorsqu'elles se présentent.
1 Bureau Américain des Statistiques sur l’Emploi (US Bureau of Labor Statistics). Au 7 juillet 2023.
2 Bureau Américain des Statistiques sur l’Emploi (US Bureau of Labor Statistics). Au 31 mai 2023.
3Bureau américain d’analyse économique (US Bureau of Economic Analysis). Au 30 juin 2023.
4 Réserve fédérale. Au 14 juin 2023.
5LCD, « Amid credit tightening, leveraged loan market revisits Financial Crisis levels » au 7 juin 2023
6 Cliffwater Direct Lending Index. Analyse de la performance sans effet de levier, brute de frais, des prêts aux entreprises américaines de taille intermédiaire. Au 30 Juin 2023
7Bloomberg, Datastream et Goldman Sachs Asset Management. Analyse des emprunts d'État allemands, britanniques, américains et japonais, performance totale annualisée en monnaie locale du 31 mars 1980 au 31 mars 2023.
8I/B/E/S et Datastream. Au 19 juillet 2023.
9Bureau national des statistiques de Chine. Bloomberg. Au 17 juillet 2023.